L’ÉMAILLAGE
Interview avec l’émailleuse Vanessa Lecci
- Description Générale
- Historique
- Émail grand-feu
- Émail flinqué
- Émail champlevé
- Émail cloisonné
- Émail en grisaille (ou camaïeu)
- Émail paillonné
- Le plique à jour (ou émail à jour)
- La peinture miniature (émail)
Millénaire, l’émail reste un matériau toujours aussi difficile à maîtriser. Créer de l’émail requiert sensiblement le même savoir-faire depuis l’Antiquité. Pourtant, cela reste un exercice difficile qui combine deux variables : la proportion des composants et leur traitement thermique.
Son composant de base est la silice. On le fait fondre avec un ‘fondant’, qui permet d’abaisser sa température de fusion (à environ 800°). La matière ainsi obtenue est extraite du four et, avant qu’elle ne baisse, on y ajoute de quoi la colorer : le plus souvent, des oxydes de cuivre ou d’autres minéraux.
Les colorants utilisés sont les oxydes métalliques :
- – du sélénium (en l’absence de plomb) pour une coloration jaune ;
- – de l’uranium pour une vive couleur orangée ;
- – du fer pour le bleu, le brun, le noir ;
- – du chrome pour le vert et le rose ;
- – du cuivre pour le vert, le rouge et le bleu ;
- – du cobalt pour un bleu profond et le vert;
- – du manganèse pour le mauve ;
- – de l’or métallique pour un rouge soutenu (pourpre de Cassius).
Cette première étape produit un bloc de verre coloré. Il faut à nouveau le chauffer puis le refroidir pour le réduire en morceaux, que l’on concasse dans un mortier en agate avec un pilon de même nature.
Chaque couleur est broyée séparément. Lorsqu’une poudre à grains égaux est obtenue on lave l’émail avec de l’eau distillée une dizaine de fois afin d’obtenir une pureté absolue. L’émail se mélange ensuite à cette eau distillée afin de former une pâte. Il est généralement appliqué au pinceau ou à la spatule sur un support métallique de cuivre, d’or, d’argent, de bronze ou de fer et se fixe par une série de cuissons dans un four à une température pouvant aller de 650° à 950° C.
L’émail est une matière fondante composée de différents minéraux, rendue très dure par l’action de la chaleur, destinée à recouvrir différentes matières à des fins de protection ou de décoration grâce à des couleurs inaltérables.
L’émail désigne à la fois la matière, la technique et l’œuvre terminée.
La matière est une masse vitreuse composée notamment de silice (proche du cristal). Elle peut être transparente ou opaque. Elle est colorée par des oxydes métalliques. La cuisson permet d’obtenir sa vitrification.
La technique consiste en l’application de l’émail (qui se présente sous forme de poudre) sur un support (en général de l’or, de l’argent ou plus souvent du cuivre).
L’art d’émailler est très ancien. On ne sait pas avec exactitude quel est le peuple qui a été le premier à faire de l’émaillerie mais on sait que les Egyptiens ont fait des bijoux dans des cloisons dans lesquelles on a reconnu de l’émail.
Au IIIe siècle avant notre ère, ce sont les pays celtiques qui détiennent les principaux centres d’émaillerie en Europe pour décorer des pièces de harnachement ou encore des clous décoratifs.
Au début de l’époque romaine, l’émaillerie se développe principalement en Ecosse et en Angleterre ; elle est utilisée pour décorer des armes, des objets de parure, les mors de chevaux et des plaques de harnachement. Puis les byzantins s’emparent de cette technique pour décorer des pièces d’orfèvrerie pour les églises du VIe au XIIe siècles.
Dès le Xe siècle, la France possède un centre important d’émaillerie à Limoges où la technique se développe dans les nombreux ateliers d’orfèvrerie de la ville. Les artistes limousins font surtout des émaux peints, portant le nom de Limoges dont les sujets sont en relief.
Cette heure de gloire est aussi technique que corporatiste : grâce à la forte demande ecclésiastique, les artisans émailleurs de Limoges inventent presque un système de production de masse, tout en développant des techniques comme le champlevé.
Les sujets peints en miniature, les portraits ou les tableaux apparaissent au début du XVIIe siècle. Ils sont représentés à l’aide de couleurs formées d’oxydes métalliques et appliquées sur un fond de montre ou une plaque recouverte d’émail blanc.
Cette technique prend naissance dans des ateliers d’orfèvrerie dans le premier tiers du XVIIe siècle. On attribue à Jean Toutin (1578-1644), né à Châteaudun la paternité de cet art. Son fils, Henri Toutin (1614-1683), sera lui aussi un grand maître de la peinture sur émail.
Si cette technique de la peinture sur émail naît probablement à Châteaudun, c’est à Paris et Blois qu’elle se développe. Mais à la fin du XVIIe siècle, l’industrie de Blois et de Châteaudun disparaît pour s’implanter à Genève. Paris garde une part de son activité.
La peinture sur émail s’implante à Genève de la même façon que l’horlogerie. Beaucoup de ces artistes sont des réformés qui, à la suite de la Révocation de l’Edit de Nantes (1685), se réfugient à Genève. D’autres arrivent aussi par échange d’ouvriers. A cette époque, lorsqu’un apprenti devient compagnon, il fait ce que l’on appelle son « tour de France ». Il en était de même pour les Français qui venaient à Genève et certains y sont restés.
On possède peu d’informations sur les débuts de la peinture sur émail à Genève. Les artistes que l’on connaît le mieux sont ceux qui sont partis travailler à l’étranger et notamment à Paris ou à Londres. On peut citer par exemple Jean Petitot (1607-1691), Jacques Bordier (1616-1684), la famille Huaud qui mettra les ateliers de Genève au même niveau artistique que ceux de Blois.
Pendant près d’un demi-siècle, l’atelier des Huaud produira des petites merveilles dont une bonne centaine de pièces nous est connue alors qu’ils ont fourni toute l’Europe. On retrouve leur signature sur des montres de Londres, Paris, Cologne, Amsterdam, la Haye, Harlem et Marseille. La plupart des sujets peints sont tirés de l’histoire ancienne et de la mythologie grecque.
De 1685 à 1700, ils travaillent notamment à Berlin pour l’électeur de Brandebourg (futur Frédéric Ier, roi de Prusse). Contribuant de manière décisive à la naissance et au développement de la peinture sur émail à Genève, la famille Huaud peut être considérée comme fondatrice de l’école genevoise de la miniature, dont elle a également assuré le rayonnement.
Au XVIIIe siècle, l’émail reste considéré comme un vernis, formé par la vitrification de substances fusibles, dont la silice utilisée comme base à laquelle on ajoute des oxydes colorants.
Ce n’est qu’au début du XIXe siècle que la technique de l’émail est utilisée pour la confection de nos produits du quotidien tels que les ustensiles de cuisine (casseroles, bols, faitouts, cocottes, etc.). Grâce à sa solidité et sa résistance à l’humidité, l’émail est également utilisé comme revêtement sur des petits meubles pour cuisine ou salle de bain. Les atouts de cette matière étant prouvés, c’est tout naturellement que les premières plaques de signalétique de rue en tôle émaillée font leur apparition en 1847. Les services publics tels que la gendarmerie, les ministères ou encore les écoles adoptent également ce support pour leur signalétique.
En 1895, l’histoire des plaques émaillées prend un autre tournant et attire les marques. On utilise de plus en plus l’émail pour les plaques publicitaires : toutes les marques de chocolats, d’apéritifs, de boissons ou de voitures possèdent leurs produits émaillés.
La demande locale étant grandissante, les années 1920 marquent le début de la production de masse et de l’industrialisation. De plus en plus d’émailleries voient le jour et contribuent à l’économie avec la création de nouveaux emplois. À l’exposition internationale des arts décoratifs de 1925 à Paris, les émaux de Limoges sont largement exposés dans des galeries et des salons. Le succès remporté favorise un nouvel essor de la production d’émail tout au long du siècle.
Après avoir atteint son apogée dans les années 1930 avec la création de nombreuses émailleries industrielles (Jean, Japy, Emaillerie Alsacienne…), la période des trente glorieuses et l’augmentation du niveau de vie impactent grandement la fabrication des plaques émaillées. Lors de cette période où la production et l’économie sont les préoccupations principales, de nouvelles techniques de fabrication font leur apparition. Dans les années 1950, le plastique devient le matériau phare dans le milieu industriel grâce à sa facilité d’utilisation et son faible coût.
Avec l’apparition de nouveaux supports publicitaires tels que la télévision, la radio ou la presse dans les années 1960, les plaques émaillées perdent de leur intérêt. La communication doit désormais être rapide, massive et variée. L’instauration de la taxation de la réclame extérieure cette même année vient appuyer le déclin de la signalétique émaillée.
Aujourd’hui, les plaques émaillées sont généralement assimilées à des objets de collection.
Métier d’art par excellence, l’émail grand feu est une technique de décoration utilisée notamment dans l’horlogerie. Nous parlons ici de la technique la plus difficile et la plus délicate à réaliser. En contrepartie les décors réalisés en émail grand feu ont une durée de vie exceptionnelle, voire inaltérable.
L’émail est une base de silice auquel on ajoute des fondants, comme l’oxyde de sodium, de potassium ou de plomb. La couleur est ensuite obtenue grâce à d’autres oxydes ou sels métalliques tels que le cuivre, le manganèse, l’argent ou l’étain.
L’ensemble est ensuite vitrifié, c’est-à-dire transformé en verre par fusion. Cette opération se déroule dans un four chauffé entre 800 et 1200°C. D’où l’appellation « grand feu », souvent employée en horlogerie. Le résultat est plus ou moins opaque, en fonction de la composition du mélange et des paramètres de vitrification. Plusieurs cycles de cuisson et de polissage sont nécessaires pour obtenir une surface lisse et uniforme.
La pièce est ainsi entièrement recouverte d’émail, ne laissant apparaître aucun métal en surface.
Couche d’émail translucide ou opalescent qui est apposée sur une plaque de métal guillochée ou gravée en basse taile.
Le guillochage produit des décors composés de droites ou de courbes qui se croisent ou s’entrelacent.
Le champlevé est une technique qui consiste à creuser des cavités sur une plaque de métal. Celle-ci est gravée au burin ou à l’acide. On disait autrefois « lever un champ ».
La pâte d’émail (poudre agglutinée avec de l’eau) est déposée dans les creux pour les remplir. Les cavités sont souvent remplies de plusieurs couches. La pièce terminée laisse entrevoir les parties de métal.
Cette technique est aujourd’hui une des plus connues en horlogerie. Contrairement à une idée reçue, le champlevé n’est toutefois propre ni à l’émail ni à l’horlogerie ! C’est une technique générique qui consiste à creuser une matière faisant office de support puis à y déverser de l’émail (ou tout autre matière) dans les zones ainsi creusées. On pourrait tout aussi bien y déverser de l’or, de l’argent ou la sertir.
Une fois les surfaces remplies, la plaque est passée au four. Des polissages (emerissages) successifs éliminent ensuite le surplus d’émail, rendant la pièce lustrée.
Méthode qui consiste à poser des fils (de cuivre, d’argent ou d’or) sur une plaque de métal afin de former des motifs. Les alvéoles ainsi aménagées sont remplies d’émail. Lors du passage au four, les teintes ne se mélangent pas.
Une version alternative existe : dans le cloisonné dit « à jours », ou « plique à jours », les alvéoles sont préalablement fermées par une mince feuille de cuivre ou d’argent collée, qui est ensuite dissoute avec des acides. Il n’y a donc pas de fond et cela permet des effets de transparence.
Cette technique consiste en un traitement de l’émail en monochromie à la manière de la peinture sur émail. La grisaille est particulièrement adaptée aux sujets figuratifs ou ornementaux. Il s’agit de superposer un grand nombre de couches d’émail blanc sur un fond noir. Grâce à un passage au feu entre chaque couche, les différentes strates se fondent les unes dans les autres, donnant naissance à d’infimes variations entre la couleur de fond et le blanc.
La technique de la grisaille au blanc de Limoges a été inventée au XVIe siècle pour réaliser notamment des copies des gravures, très en vogue à l’époque. Certains disent que c’est à Limoges qu’est né le blanc de Limoges. Certains attestent qu’il a été fabriqué/inventé à peu près en même temps dans le nord de l’Italie. Le mystère reste entier mais Limoges donnera son nom à cet émail blanc si particulier.
Il s’agit d’un mélange à peu près équivalent à un émail blanc sauf qu’il contient plus d’oxyde que de verre et qu’il est réduit en poudre très fine. On le mélange à une huile pour obtenir une pâte qui a à peu près la même texture que la peinture à l’huile. Il est donc plus facile de faire des dégradés et des nuances de gris qu’avec un émail opale utilisé aussi pour la grisaille (technique moderne).
La technique de l’émail paillonné consiste à insérer une minuscule décoration de métal – un « paillon » – entre deux couches d’émail, créant ainsi des effets de brillance par transparence. Le paillon est aussi fin qu’une feuille de papier.
Selon le dictionnaire de l’Académie française, les paillons tirent leur origine du mot « paille ». Ces minuscules objets peuvent revêtir des formes très diverses: géométriques (ronds, carrés, rectangles, triangles), numériques, arabesques, botaniques, etc.
Dans l’horlogerie, cette technique est utilisée pour apporter au cadran de la brillance et des jeux de lumières.
La plaque est ajourée d’un motif où sera apposé l’émail, le tout sur une base de mica (minéral constituant un fond translucide empêchant l’émail de fuir par le dessous). Après le passage au feu l’on retire cette base et le résultat donne un effet semblable à celui des vitraux d’église.
Le travail de l’artisan consiste à créer ou à reporter un dessin, une illustration à une échelle réduite pour l’adapter à la forme d’un objet.
Les deux côtés de la plaque sont tout d’abord couverts d’émail blanc ou incolore et la pièce est passée au feu. De cette façon le verso est protégé de la détérioration et le recto est prêt à recevoir la décoration. Les couches de couleurs (oxydes pures) sont ensuite appliquées à l’aide d’huile de lavande avec un pinceau très fin, et la plaque passée au four après chaque apport de couleur.
Le peintre miniature commence par peindre le fond, les décors et finit par les détails, couche par couche, couleur par couleur avec patience et minutie.
La peinture miniature apporte une richesse de couleurs, des contrastes et des détails impossibles à obtenir avec les différents procédés industriels actuels.
Il s’agit bien là d’une des techniques de l’émail à ne pas confondre avec la peinture miniature acrylique.